Dès 2001, l’Académie nationale de médecine de France s’est intéressée à la chirurgie robot-assistée. Vingt cas de chirurgie des artères coronaires, assistée par ordinateur, avaient été rapportés [1]. L’année suivante le sujet a fait l’objet d’un rapport [2]. Depuis on a vu le pourcentage d’interventions chirurgicales robot-assistées augmenter considérablement dans les pays riches [3]. Aujourd’hui, toutes les interventions réalisées en chirurgie vidéo-assistée l’ont aussi été en chirurgie robot-assistée dans toutes les spécialités chirurgicales. Les publications et les revues consacrées à la chirurgie robot-assistée se sont multipliées. Mais elles ont surtout porté sur la faisabilité de la technique, sur des comparaisons rétrospectives avec d’autres techniques ou encore sur des méta-analyses. Les essais randomisés comparant chirurgie vidéo assistée et robot-assistée, les études médico-économiques sont encore très peu nombreuses. Cela explique que la chirurgie robot-assistée puisse aujourd’hui susciter deux points de vue assez différents.
Un premier point de vue peut être qualifié de «robotphile». Il souligne les avantages techniques de la chirurgie robot-assistée par rapport à la chirurgie vidéo-assistée. Ce sont: 1) une très grande possibilité de rotation des mouvements dans l’espace des bras du robot qui supportent les instruments. Elle est supérieure à celle que permet la simple prono-supination de l’avant- bras et de la main du chirurgien; 2) la transmission mécanisée des gestes du chirurgien à partir de la console devant laquelle il est installé vers les instruments supportés par le robot, estompe voire supprime les tremblements éventuels de l’opérateur; 3) enfin une vision du champ opératoire en trois dimensions et de haute définition facilite la navigation de l’opérateur… La combinaison de ces avantages permet des dissections plus fines, plus précises. Le robot a même facilité l’usage de nouvelles voies d’abord: ainsi, en chirurgie thyroïdienne, pour éviter toute incision et toute cicatrice cervicale, la voie d’abord axillaire a été développée; la même voie a été utilisée pour réaliser des mastectomies sous-cutanées conservant aréole et mamelon avec reconstitution immédiate du sein par prothèse.
Les recherches ouvrent de nouvelles perspectives. Des robots mous miniaturisés pourront se faufiler dans l’oreille externe pour atteindre et traiter des lésions de l’oreille interne. Des robots mous pourront passer entre des organes abdominaux sans les délabrer pour atteindre des lésions profondes. Des robots autonomes, guidés par des examens morphologiques préopératoires, ne nécessiteront plus que la supervision d’un chirurgien, notamment dans l’implantation de certaines prothèses en orthopédie [4]. Des robots intelligents à mémoire de forme permettront de réaliser des sutures digestives avec la plus grande sécurité… A côté de ce point de vue «robotphile», un autre point de vue donne une image moins symbolique de modernité, mais plus pragmatique: le rêve fait place à la réalité. Tout d’abord n’est-il pas un peu choquant de constater que la robotique contribue à l’évolution industrielle et commerciale de l’exercice médical? L’équipement en robots d’établissements chirurgicaux publics ou privés devient un argument publicitaire pour attirer la clientèle. Citons des exemples, trouvés sur internet: «Le groupe hospitalier N est l’un des plus avancés en France en ce qui concerne la chirurgie robotique»; «Depuis son ouverture, l’hôpital Y dispose d’un robot chirurgical de la dernière génération »; «Une salle opératoire est dédiée à la chirurgie robotique au sein du site opérationnel de l’hôpital Z». L’absence de retour de force est un inconvénient de la robot-assistance. Contrairement à ce qui se passe en chirurgie vidéo-assistée, le chirurgien n’a aucune perception de la consistance de tissus au contact de ses instruments, ce qui a été à l’origine d’accidents vasculaires graves. Par ailleurs, des études ont montré que les périodes d’apprentissage de la chirurgie robot-assistée étaient assorties d’un taux élevé de complications [5]. Il faut espérer que les écoles de chirurgie robot-assistée avec le fait de revoir les enregistrements des exercices amélioreront les courbes d’apprentissage [6]. En définitive, seules des études comparant la chirurgie robot-assistée aux autres techniques chirurgicales permettraient de se faire une bonne opinion sur l’amélioration du service rendu par le robot. Des comparaisons rétrospectives montrent, dans l’ensemble, des résultats peu différents selon les techniques robot-assistées ou non [7-11]. En chirurgie colo-rectale, une étude a montré qu’elle réduirait la morbidité [7]. Mais cet avantage n’a pas été observé dans une autre étude [8]. Des résultats similaires entre les techniques ont été observés dans la chirurgie du cancer de l’endomètre [9] ou du cancer du poumon [10]. Dans les cancers de la prostate, le seul bénéfice habituellement observé est une diminution des troubles de l’érection [11]. En revanche, toutes ces comparaisons rétrospectives montrent que le coût de la chirurgie robotique est de 30% à 40% plus élevé que la chirurgie vidéo-assistée.
On dispose encore de peu d’essais randomisés comparant la chirurgie robot-assistée avec la même chirurgie sans robot [8,11]. Leurs résultats sont similaires à ceux des comparaisons rétrospectives. En conclusion, l’amélioration du service médical rendu par la chirurgie robot-assistée est faible. Elle doit même être considérée comme insuffisante par rapport à son coût. Mais des évaluations médico-économiques coût-efficacité, plus rigoureuses que celles dont on dispose sont aujourd’hui nécessaires.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en relation avec le contenu de cet article.
Correspondence address:
Michel HUGUIER
Président de la division chirurgicale de l’Académie nationale de médecine de France